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Contribution – Discours prononcé par Maître Malick FALL 1er Secrétaire de la…

Discours prononcé par Maître Malick FALL 1er Secrétaire
de la conférence lors de la rentrée solennelle
du Barreau du Sénégal le 14 Février 2017

FAUT – IL REPONDRE POUR RESISTER ?
– Pardonnez-moi ?

– OUI, vous monsieur !

– Vous qui êtes en sueur, le souffle coupé, les vêtements en lambeaux et le corps en sang.

Oui Monsieur, C’est à vous que je m’adresse !

– Ai-je bien entendu ?

C’est à moi que vous demandez timidement s’il faut répondre pour résister ?!

QUELLE QUESTION !!!

A moi, Vêtu d’une robe noire ayant choisi le prétoire comme moyen d’expression, l’Avocat répond haut et fort, bien sûr que Oui ! Évidemment qu’il il faut répondre pour résister et mieux, répondre pour s’affirmer.

Mais entendons-nous bien, la réponse et non les représailles qui n’ont pas droit de Cité ici, ne peut s’apprécier que si elle est fondée sur la valeur humaine universelle de non-violence.

Ainsi, le droit de réponse s’entend en résonance naturelle de la liberté d’expression, et demeure une prérogative attachée à chaque individu, un droit inaliénable pour tous.

Pour vous convaincre Monsieur et vous aider à mieux mesurer le chemin parcouru, par un droit d’une telle importance, ramené de nos jours fort heureusement à une évidence, nous convoquerons à nos réponses de prestigieux invités, acteurs distingués pour la défense de la cause humaine.

Un panel d’invités représentatif des plus belles réponses face à la bêtise humaine, sélectionnés sur le fondement de leurs répliques justes.

Solitaires marginalisés, rebelles opprimés, humanistes contestés, nos invités ont la particularité commune d’aller à contre-courant des réalités de leur époque et surtout d’avoir du répondant face à l’épreuve.

Chacun d’eux a su répondre à sa manière et avec dignité à un défi dantesque.

Leurs brillantes réponses à l’absurde, bien mieux que les grandes déclarations internationales et les plus belles constitutions, nous valent aujourd’hui les avancées et les acquis les plus précieux pour l’humanité.

Notre rencontre tant attendue, a lieu dans une petite chambre d’étudiant au pavillon H, comme humanité de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar.

Au menu, les résistances en réponse à l’obscurantisme, la discrimination, l’arbitraire et l’asservissement, tous érigés en système.

Tiens !!! On frappe à la porte à grands coups, alors que l’interphone est pourtant en état de marche, ce sont sûrement nos invités d’un autre temps qui arrivent.

J’ouvre la porte et défilent devant moi sans un mot, Gutenberg l’air suspicieux, Beccaria sérieux, Miles Davis Grincheux comme à son habitude et enfin Aimé Césaire souriant précédé de Gandhi dans son éternel Sari Blanc.

A peine installé, Gutenberg fut interloqué par l’écran de l’ordinateur en marche, cette créature si étrange affichant des caractères qui lui sont pourtant si familiers.

Après lui avoir expliqué non sans peine, que je discutais avec un ami qui se trouvait de l’autre côté de la planète, il se risqua toujours avec une bonne dose de méfiance  à lui envoyer un chevalet de lettres avec la même dextérité d’alors pour lui demander : ” Mais Qui êtes-vous ?!”

La réponse « Aristote » tomba quasi instantanément et finit de lui ôter toute capaciter de rédaction. Je m’empressai de lui expliquer alors que c’était seulement le pseudonyme de mon ami.

Lors de cette rencontre aussi improbable, sauf dans le magnifique monde des idées républicaines,  Gutenberg donna le ton par ces mots.

« L’injustice qui dure a toujours pour complice le silence.

La raison nous impose une attitude de dénonciation, devant l’arrogance de quelques-uns, soutenue par l’ignorance de presque tous.
L’obscurantisme politique ou religieux soigneusement entretenu par une élite, a été vaincu par la seule réponse qui vaille, la diffusion de la connaissance grâce à cette belle invention, l’imprimerie.

Une prime à l’écrit, au savoir, et au développement des capacités humaines, une victoire symbolisée par cette lucarne lumineuse dit – il, en désignant l’ordinateur du doigt, qui a encore plus de répondant que le presse – papier, repoussant les limites de l’écho de ma réponse, toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus loin. »

A propos de l’imprimerie d’ailleurs, Fichet disait : « caractères à l’aide desquels, tout ce qui se dit et se pense peut-être écrit, transmis et conservé à la mémoire de la postérité ».

Pendant ce temps, comme pour confirmer ces paroles, Beccaria tout surpris et fier de voir son œuvre « des délits et des peines » traverser les siècles, se mit à se relire, comme pour s’assurer, que le temps, n’avait aucune emprise sur ses précieuses réponses à l’arbitraire. Il eut la confirmation que les paroles s’envolent, les écrits eux, résistent.

Perché à la fenêtre, dans un semblant de désintérêt pour la discussion de ses amis d’un soir, Miles Davis épris de liberté, vêtu exceptionnellement d’une queue de pie rouge, en hommage aux red tails, pilotes américains noirs oubliés de la seconde guerre mondiale, sortait de sa trompette un souffle cuivré d’un opprimé de l’Ouest qui se transformera en tempête de liberté à l’Est.

Ce formidable vent de liberté, que même un T 62 soviétique blindé de 40 tonnes d’idéologie sourde et muette, n’a pu apporter la moindre réponse, ni opposer la moindre résistance.
Retenons que la lourdeur de l’acier, ne fera jamais le poids face à la grandeur des idées.

Ouf de soulagement ! Prague a résisté ! La Tchécoslovaquie peut de nouveau souffler, s’exprimer, répondre 5/5, et même pouffer de rire puisque cela n’est désormais plus interdit.

Gutenberg emboucha la même trompette pour dire à nouveau : « la dictature nous menace toujours avec la majorité qui se dégage des urnes.  Elle valide la pensée exprimée du plus grand nombre, légitime ses caprices même les plus inacceptables, pendant un temps suffisamment long, pour les traduire en actes politiques aux conséquences souvent irréversibles.

C’est la majorité qui gouverne pour tout le peuple, au nom de tout le peuple, sans se soucier des bouts de peuple.

Vous avez juridiquement tort parce que politiquement minoritaire disait André LAIGNEL.

Mais une démocratie gagnerait à être meilleure en tendant l’oreille à cette minorité plurielle, kyrielle de craintes à dissiper, d’aspirations à réaliser, et surtout de droits à protéger.

Insignifiante par le nombre, la seule constante digne d’intérêt et de considération avec le suffrage universel, cette minorité à la voix inaudible au baromètre de la clameur, reste (hélas) réduite au rang de simple rumeur ».

Ces minorités, les « sans voix » dont Césaire se fait l’écho, résistent dans les quartiers discriminés de Harlem, les banlieues oubliées de Calcutta en passant par les ghettos déshumanisés de Varsovie ou les affres ignorées de Halep

Non.  Pas besoin de trompette, pour ce poète au souffle incandescent pour revendiquer à cor et à cri, que : « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celle qui s’affaisse au cachot du désespoir ».

Nous y voilà enfin, la voix, c’est la liberté, la réponse, l’exercice même de cette liberté !

Porter la voix des malheurs et des bouches qui s’affaissent au cachot du désespoir, reste un sacerdoce, un art, une rhétorique. : Silence à tous ! C’est la résistance noble qui entre en jeu, la défense qui parle, ultime réponse à l’injustice.

Répondre de ses actes devant la justice pour Beccaria « c’est résister à l’accusation sans texte, exercer son droit à la défense sur le fondement des valeurs essentielles comme le principe du contradictoire, l’exercice de voie de recours, réponses indispensables à l’arbitraire pour assurer un procès équitable, gage d’une justice impartiale et d’une société pacifiée.

Gandhi quant à lui, bien que parfaitement imprégné des règles de procédure et de défense, choisit de prouver que la parole   n’a pas le monopole de la réponse encore moins de la résistance.

La marche dit – il :   ” est ce vaste mouvement de résistance   qui vint à bout de la plus grande puissance coloniale, l’empire Britannique, fait d’asservissement et d’exploitation pour donner naissance à la plus grande démocratie du monde, mon pays l’Inde.

La seule réponse à la défaite, c’est la victoire disait Churchill.

La seule réponse au mal, le bien.

Aucun mérite pour celui qui fait du bien qui lui est imposé.

Aucun tort en revanche pour celui qui fait du mal sous la contrainte.

La liberté d’un homme s’apprécie à sa faculté de choisir entre le mal et le bien.
Mais la grandeur d’un Homme ou d’une femme, réside en sa capacité à répondre au mal par le bien.

Les plus belles réponses restent celles qui sont pensées pour être durables, fondées sur la raison, chose dit-on la mieux partagée au monde.

Tant qu’on pense, on existe disait Descartes, tant qu’on répond, on résiste disait à son tour Bonaparte.

Et dire que pour les empêcher de lui répondre et donc de résister à son gouvernement, Napoléon voulait couper la langue aux Avocats.

Mais je vous rassure, si je suis là pour répondre à la question de MONSIEUR, c’est parce que ce funeste projet s’est heurté à une farouche résistance, d’inoxydables voix de ténors trempés d’indépendance.

Napoléon a tenu en respect la moitié de l’Europe mais n’a jamais réussi à faire taire les avocats de Paris.

Chers invités, chers confrères, vous savez sans doute qu’il est peu recommandé d’aller en vacances dans un pays où on entend des bruits de bottes ?

Mais saviez-vous aussi, qu’il est fortement déconseillé de se rendre dans un pays où les avocats ont perdu toute faculté d’indignation et sont devenus silencieux ?

Alors soyez rassurés de séjourner au pays de la TERANGA, le SENEGAL peuplé de 14 millions d’avocats, tous en “hyperactivité”.

Bienvenue dans cette ruche de plaideurs, pas seulement devant les Cours et Tribunaux, mais aussi dans les places publiques, les médias et même sous l’arbre à palabre!

Il en faudra plus que le projet de Napoléon pour nous faire taire, surtout devant les multiples périls qui menacent au quotidien nos précieux acquis.

Les droits et libertés fondamentales sont souvent sacrifiés sur l’autel de la sécurité.
Le fléau du terrorisme et de la criminalité justifie dans son sillage le recours malheureux à la torture, aux détentions longues et parfois arbitraires, à l’état d’urgence avec son corolaire de mesures liberticides.

Terrorisés que nous sommes tous, la tentation est grande de trouver refuge dans les bras grands ouverts d’un état sécuritaire.

Erreur cependant!!!  Car la terreur n’est jamais venue à bout d’une autre terreur. Une terreur s’ajoute à une autre et le terrorisme tout aussi condamnable s’en sort renforcé, encore plus silencieux, encore plus vicieux, encore plus dangereux.

Sous couvert du manteau de la légitimité, du moins se présentant comme telle, des esprits simples, porteurs d’idées simples jouent sur la peur et font irruption dans le débat judiciaire au nom de la liberté d’expression pour s’arroger un droit de vie et de mort sur les justiciables.

Sous prétexte d’arguments qu’ils savent pertinemment fallacieux, ils affirment que la peine de mort aurait des vertus dissuasives contre le crime.  Les adeptes de la loi du TALION, aveuglés par leur désir de violence, n’ont hélas pas les capacités pour comprendre que la justice ne saurait être réduite à une vulgaire vengeance.

Le débat pour ressusciter la peine de mort en devient alors d’une bassesse à couper le souffle !

À l’image de nos illustres invités, nous n’accepterons pas aujourd’hui d’être classés, pistés, épiés et demain surveillés, numérisés, traqués, au détriment des libertés et de la dignité humaine.

Oui ma chère Nidal, tu as raison, il n’y aura pas 14 millions de moutons en ligne, mais bien 14 Millions de sentinelles en ordre.

Telle est l’enseignement légué par nos invités. Alors Monsieur, fort de cette leçon, vous n’avez plus le droit de courber l’échine.

La vie éternelle passe par l’entrée au panthéon des belles idées républicaines et humanistes.

Gutenberg, Césaire, Beccaria, Gandhi et Miles Davis ont atteint l’immortalité par leurs réponses lumineuses et leurs résistances courageuses au service d’une cause juste.

Ils ont répondu à la vie, ils ont résisté à la mort.

Malgré le temps qui nous éloigne d’eux, ils répondent toujours présents à chacun de nos appels pressants.

Alors Monsieur, chers amis, surtout chers Confrères, éternelles sentinelles des droits et libertés, un seul conseil, Debout, solides à la barre, toujours prêts pour les réponses !

Dakar, le 14 Février 2017
Maître Malick FALL
SCPA WANE & FALL
97, Avenue Peytavin X Jean Jaurès
Immeuble Kébé Extension au 3ème étage
DAKAR – SENEGAL

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