Contribution – L’école sénégalaise face à l’urgence de l’éducation à la citoyenneté numérique (par Lamine NDIAYE Aysa Fall)
(Lettre ouverte à M. Guirassy Ministre de l’Education nationale)
Monsieur le ministre,
En tant professionnel du secteur de l’éducation, fort de plus de deux décennies d’expériences
pédagogiques durant lesquelles j’ai débattu, échangé et confronté mes pratiques pédagogiques
à celles de mes pairs, j’ai fait le pari de m’acquitter de ma dette vis-à-vis du Sénégal en
empruntant cette posture d’initiateur et non d’imitateur, avec toujours en bandoulière une ferme
volonté de faire partie de ceux qui font l’histoire au lieu de la subir. Sous cet angle, je voudrais
par la présente, vous inviter à réfléchir sur l’éventualité d’inscrire l’apprentissage de la
citoyenneté numérique dans le lot des priorités de votre magistère.
Monsieur, depuis la toute première connexion officielle de notre pays à Internet en 1996, le
Sénégal aura mis en œuvre d’importantes résolutions allant dans le sens de l’augmentation du
taux de pénétration d’internet et du nombre d’abonnés au haut débit. En somme, tout a
concouru en faveur de la diffusion et de la vulgarisation des usages d’Internet. Ces efforts ont
abouti à la création du Ministère de la Communication et de l’Economie numérique, le 06
juillet 2014, et l’élaboration de la « Stratégie Sénégal numérique 2016-2025 » devant mener
à une transformation structurelle de l’économie de notre pays. C’est la résultante d’une plus
grande volonté de l’Etat du Sénégal à accroître la contribution du secteur des postes, des
télécommunications et des technologies de l’information pour le développement du pays.
Ainsi, dans un Sénégal marqué par la pauvreté (50 % de la population) et
l’analphabétisme (plus 60 % de la population), les conséquences liées à l’usage inadapté d’un
tel instrument pourraient s’avérer néfastes. C’est donc le lieu de se donner les moyens de bien
préparer nos enfants, futurs citoyens à l’utilisation de ces nouveaux instruments à la pointe de
la technologie, proportionnellement à l’expansion et à la vulgarisation du « réseau des
réseaux » à l’intérieur de nos frontières.
Monsieur le ministre, le boom numérique considéré comme la quatrième révolution
d’envergure planétaire après la mécanisation, l’électrification et l’automatisation, est en passe
de bousculer toutes nos habitudes. Cette ère a fini de s’imposer à nous avec des équipements à
bas prix, un marché à forte concurrence et un développement des usages. La possession d’un
ordinateur n’est plus un enjeu déterminant. Internet se massifie et se démocratise à la vitesse de la lumière. Comme vous le savez, il suffit juste d’un téléphone et d’un accès pour avoir la
capacité d’influencer un très grand nombre de « followers ». Or, en caressant l’idée d’évoluer
dans une société numérique, l’Etat doit également inventer des stratégies adaptées incluant
une amélioration du vivre-ensemble dans ce nouvel environnement. Dès lors, notre société
doit se réapproprier de nouvelles règles de comportement tout en réinventant sa citoyenneté.
Monsieur le ministre, la succession de certains événements avec leur cortège de désastres
interroge non pas seulement le législateur sénégalais, mais le pays dans son entièreté. Ces
cinq dernières années, des dérives aussi périlleuses les unes que les autres ont été relayées sur
la toile, avec une régularité qui frise la banalité extrême. Cela est encore perceptible dans les
prises de parole d’acteurs souvent considérés comme des professionnels de l’improvisation,
qui ne manque jamais l’occasion de donner leurs positions sur la gestion ou le déroulement de l’activité socio politique. Et pourtant, internet aurait pu être un outil de facilitation de notre
cohésion et notre vivre-ensemble en nous permettant de communiquer de façon respectueuse, non violente et responsable. Eu égard à tout cela, il s’avère urgent pour vous qui êtes en charge de l’enfance, de réfléchir sur les modalités d’une introduction de l’éducation à la citoyenneté numérique active dans les curricula, à l’instar de l’éducation à la vie familiale, à
l’éducation à la paix …, pour protéger nos enfants et sauver la République.
La citoyenneté numérique active se présente comme l’acquisition de compétences pour
apprendre, comprendre, entreprendre et participer activement à la vie dans une société
devenue numérique. C’est, en d’autres termes, l’ensemble des connaissances et des aptitudes
nécessaires permettant à un citoyen d’exercer et de défendre en ligne (c’est-à-dire dans les
réseaux sociaux), ses droits et responsabilités légitimes. Aussi, l’apprentissage de la
citoyenneté numérique s’arrime-t-il parfaitement à la promotion et protection des droits de
l’homme, à la démocratie et à l’État de droit dans le cyberespace. Aujourd’hui, bien partagée
dans les pays développés, la citoyenneté numérique y est perçue tel « le maniement efficace et positif des technologies numériques (créer, travailler, partager, établir des relations sociales,
rechercher, jouer, communiquer et apprendre), la participation active et responsable (valeurs, aptitudes, attitudes, connaissance) aux communautés (locales, nationales, mondiales) à tous les niveaux (politique, économique, social, culturel et interculturel), l’engagement dans un double processus d’apprentissage tout au long de la vie (dans des structures formelles, informelles et non formelles) et la défense continue de la dignité humaine » (Source : Conseil de l’Europe). Partout dans ces pays revendiquant la paternité légitime de la révolution industrielle, l’humain est en train d’inaugurer un nouvel âge, celui de la révolution numérique avec comme acteur central, l’homo numericus.
Monsieur le ministre, il faut désormais se rendre à l’évidence. Notre monde change toutes
les minutes, alors il faut armer nos enfants. Et c’est à partir de l’école que les grands
changements se couvent. Cette école a besoin de mises à jour, car avec Internet et les réseaux
sociaux, les comportements liés au numérique ont entraîné de nouveaux risques et de
nouveaux besoins. Et votre ministère en rapport avec celui de l’économie numérique doivent
de façon urgente trouver les réponses aux questions telles que : Comment accompagner et
couvrir les enseignants face aux usages numériques, dans le cadre professionnel ? Comment
protéger les enfants, parents et enseignants face aux dangers du numérique ? Que signifie
réellement « Bien-être en ligne » ? Une bonne prise en charge de ces différentes interrogations dans le cadre d’une éducation à la citoyenneté numérique permettra, dans un avenir proche, de doter la société sénégalaise d’une meilleure armature nécessaire à sa protection. Mais, pour l’heure et en attendant les décisions du législateur, l’État du Sénégal via le ministère de l’Education pourrait instituer une « Journée Nationale du Numérique » dont le but serait de sensibiliser les différents acteurs (enseignants, élèves, parents, corps de contrôle …) aux nouveaux usages et comportements sur Internet en général et dans les réseaux sociaux en particulier. In fine, Monsieur le ministre, nous estimons que le règne du numérique rime aussi avec cyber-défense, cyber-attaque, cyber-sabotage, cyber-déstabilisation, cyber-espionnage… Et pourtant le constat n’est pas reluisant pour notre pays dont la vitesse dans ce domaine est disproportionnée par rapport au rythme et à la progression du monde numérique. Pourtant, aussi remarquables qu’apparaissent les performances en la matière, elles ne peuvent dissimuler les nombreuses insuffisances constatées au Sénégal, liées à la pauvreté et à l’analphabétisme des populations. C’est cela qui projette notre pays dans une sorte d’urgence numérique et donc, de nécessité à faire de l’éducation à la citoyenneté numérique active unepriorité. Il s’agira ni plus ni moins pour l’école sénégalaise que d’armer au mieux ses enfants à affronter les réalités du monde actuel.
Avec mes plus respectueux hommages, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre,
l’expression de ma plus distinguée considération.
Lamine NDIAYE Aysa Fall
Inspecteur de l’Education et de la Formation
Directeur Exécutif du CABINET SEDAR INTERNATIONAL
Email : cabinetsedarinternational@gmail.com