Contribution – Les obstacles juridiques à la poursuite pénale du Président de la République sénégalais dans l’exercice de ses fonctions (par Babacar Gueye Mbaye)
L’analyse substantielle de l’article 101 de la Constitution permet de soutenir que le constituant sénégalais a clairement affiché sa volonté de poursuivre un président de la République pour haute trahison. Cependant, il n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique, car les éléments constitutifs de cette infraction ainsi que la sanction ne sont pas clairement définis conformément au principe de la légalité.
1.Une volonté manifeste du législateur de poursuivre pénalement le Président de la République sénégalais.
L’article 101 de la Constitution dispose que le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée nationale, statuant par un vote au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres la composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice.
La lecture de cette disposition renseigne sur la volonté du législateur d’instituer la possibilité de poursuivre le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions en prévoyant l’infraction concernée ainsi que la procédure. On peut alors dire que le législateur a posé les conditions de poursuite du Président de la république dans l’exercice de ses fonctions.
En effet, il faut une haute trahison d’une part et la mise en accusation de la Haute Cour de justice suivant décision de l’Assemblée nationale.
Cependant, cette volonté se heurte à la réalité du droit pénal, notamment le principe de la légalité qui est la clef de voûte du droit pénal.
2. La problématique de la mise en œuvre de l’article 101 de la Constitution
A. L’exigence du respect du principe de la légalité.
Le principe de légalité signifie qu’il n’y a pas d’infraction ni de peine sans un texte légal. Énoncé, pour la première fois par le législateur révolutionnaire, dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, ce principe est consacré par le droit positif sénégalais. Nul ne peut être condamné, si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant l’acte commis.
Toutefois, les dispositions de l’alinéa précédent ne s’opposent pas à la poursuite, au jugement et à la condamnation de tout individu en raison d’actes ou d’omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels d’après les règles du droit international relatives aux faits de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre (article 9 de la Constitution).
Selon l’article 4 du Code pénal, nul crime, nul délit, nulle contravention ne peut être puni de peines qui n’étaient pas prévues par la loi ou le règlement avant qu’ils fussent commis.
Il est clair qu’on ne peut poursuivre une personne sur la base de faits ou d’omissions qui n’étaient pas connus et considérés comme infraction avant leurs commissions selon la loi sénégalaise.
Par conséquent, une action ou une abstention, si préjudiciable qu’elle soit à l’ordre social, ne peut être sanctionnée par le juge que lorsque le législateur l’a visée dans un texte et interdite sous la menace d’une peine.
Or, dans le Code pénal sénégalais, l’infraction de haute trahison n’est pas prévue. On n’a pas d’information sur les éléments constitutifs ni sur la sanction prévue, or le juge ne peut incriminer sans texte ni condamner sans texte. Le juge ne peut ajouter à la loi, en prononçant une peine qui n’a pas été prévue par un texte.
Il appartient au juge de rechercher la disposition la plus adaptée au fait poursuivi. Mais il ne peut créer une incrimination en invoquant l’usage ou la coutume ; ne peut déclarer caduque une loi sous prétexte qu’elle n’est plus appliquée. S’agissant des sanctions, le juge ne peut ajouter à la loi, en prononçant une peine qui n’a pas été prévue par un texte.
B. L’application de la loi pénale dans le temps: le principe de la non rétroactivité pour les lois penales de fond plus sévères
Est-ce qu’une loi pénale nouvelle peut être appliquée aux faits qui lui sont antérieurs ?
Contrairement aux lois pénales plus douces, c’est l’application du principe de la non-rétroactivité pour les lois nouvelles plus sévères.
La loi pénale plus sévère, celle qui crée une incrimination nouvelle, élève la peine encourue, supprime un fait justificatif ou une cause de non-imputabilité, ne s’applique pas aux faits commis antérieurement, à l’exception :
• des lois interprétatives précisant le sens d’une loi antérieure demeurée obscure et controversée ;
• les lois édictant des mesures de sûreté nouvelles qui sont jugées d’application immédiate ; les lois incriminant des atteintes à des valeurs essentielles de civilisation ;
• Les lois déclarées expressément rétroactives par le législateur, qui estime que les circonstances du moment commandent une sanction immédiate, généralement en matière politique.
Pour terminer, on peut dire que le processus est déclenché et qu’il est dans les cordes du législateur sénégalais de le finaliser. Il suffit juste de la volonté politique pour donner un contenu à l’infraction de haute trahison et de prévoir les sanctions pour mettre le juge dans les conditions de pouvoir réprimer le Président de la république sénégalaise dans l’exercice de ses fonctions.
Babacar Gueye MBAYE
Juriste