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Contribution – Lettre ouverte N°3 au Ministre de l’Education nationale (par Lamine NDIAYE Aysa Fall)

(De l’imputabilité et de la gestion des établissements scolaires)

Monsieur le ministre,

Rater son cursus scolaire est devenu aujourd’hui inacceptable aussi bien pour les élèves, pour
les parents que la société sénégalaise. Et pourtant la courbe de l’échec scolaire poursuit sa
montée vertigineuse année après année. Ainsi, comme la grande majorité des acteurs du secteur éducatif, je n’ai plus la force ni physique ni mentale de me taire, ruiné que je suis par un sentiment de colère, d’impuissance, de dépit, de désenchantement et de révolte. Au nom de dont le tableau « Jubanti- Jub- Jubal » est porteur et d’une volonté nationale
déclarée, je ne peux plus accepter de continuer à tolérer l’absence d’imputabilité dans notre
système éducatif.

Monsieur le ministre, si je prends l’acception anglo-saxonne « accountability », ce terme
pourrait être rendu par l’idée de « devoir rendre compte », par celle d’« obligation de rendre
des comptes », d’« obligation d’être comptable de ses actes » ou par celle d’« obligation de
répondre de sa gestion », et du coup, me plonge de plein pied dans l’un des maillons qui pourrait sauver notre Ecole. Permettez-moi Excellence, de prendre le risque pédagogique de le traduire par la notion d’imputabilité qui est de l’ordre de la responsabilité et de l’obligation de rendre compte de ses actions. Dès lors, l’on bute sur le statut et les rôles de ceux-là dont la charge consiste à diriger nos établissements scolaires : ceux qui sont communément appelés les chefs d’établissement.

Excellence Monsieur le ministre, la mise en place d’outils de pilotage et de régulation des
performances des acteurs scolaires entre en droite ligne des exigences démocratiques et des
recommandations majeures de la communauté éducative sénégalaise. L’adoption de ces outils
de pilotage servira à améliorer l’efficacité et l’efficience éducative, mais aussi à réduire les
inégalités. Notre école a été longtemps pensée comme un système de production avec des
objectifs opérationnels mesurables et quantifiables. Aussi, l’un des premiers enseignements à
donner à un élève-maître ou élève-professeur concerne-t-il l’élaboration ou la «construction »
d’objectifs opérationnels, car seul ce dernier peut permettre de prescrire ou d’évaluer
efficacement les résultats. Dès lors, les chefs d’établissement et directeurs d’école sont
assimilables à des « responsables de production » ou « chefs d’entreprise » qu’il faut évaluer
et/ou juger. Et comme tout bon manager, gestionnaire du bien commun, ils sont soumis à
l’obligation de rendre compte à la communauté éducative voire au peuple dans sa globalité.

 

Dès lors Monsieur le ministre, pour que le principe d’imputabilité fonctionne parfaitement,
il faut définir un dispositif largement concerté et éprouvé d’évaluation des résultats des élèves,
des performances des écoles, voire des classes et des enseignants de tous corps. Inutile de
préciser que les systèmes d’évaluation en vigueur dans l’école sénégalaise ne souffrent pas à
proprement parler d’insuffisances majeures. Désormais, l’évaluation ne devra plus se faire pour
elle-même, c’est-à-dire « évaluer pour évaluer », mais elle sera le socle de toute action de
management. Comme vous le savez bien, les personnels de l’Education et de la Formation sont capables de se muer en de véritables « producteurs automatiques de rapports ». Même pour une action inexistante, certains responsables d’établissement seraient capables de fournir un rapport tellement bien écrit et fouillé que ses destinataires pourraient avoir la vague impression d’yavoir eux-mêmes assistés. La première étape d’application rigoureuse de ce principe d’imputabilité consiste à aller au-delà des rapports écrits qui ne renseignent quelque fois sur rien du tout. Tous les responsables d’école ont un dénominateur commun : la certitude que l’administration est basée sur ce qui est écrit. D’ailleurs, ma modeste expérience dans le
domaine m’avait amené à lire une floraison de rapports sur des « séances d’animation
pédagogique » qui, parfois, n’ont jamais été tenues. Cela, tous les membres du corps de contrôle du secteur de l’éducation le savent.

Monsieur le ministre, un premier niveau d’intervention scolaire doit exiger de l’enseignant
un compte rendu détaillé et rigoureux à sa hiérarchie, aux parents et à la communauté
éducative locale sur chaque activité professionnelle menée. Mais, comment un enseignant peut- il y arriver, s’il n’a pas de maîtrise réelle sur ses effectifs, si par exemple, il n’a jamais fait de «bilan scolaire individualisé » (au début et au milieu de l’année scolaire) ? Ce bilan personnalisé se présente tel un diagnostic facilitant la mise en route du suivi de chaque apprenant. C’est un bilan qui renseigne sur la personnalité de l’enfant, son niveau, ses difficultés, ses forces, ses attentes. Ce sujet est tellement intéressant qu’il faudra lui consacrer toute une correspondance.

En tous les cas, ce premier niveau d’exercice du principe d’imputabilité est aussi le début du
succès ou de la faillite du management scolaire. J’estime d’ailleurs que cet outil de mesure est
la grande omission du Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la
Transparence du secteur de l’Education et de la Formation (PAQUET-EF) qui pourtant, intègre
parfaitement la qualité comme moyen. Du moins, la notion de bilan scolaire n’y apparaît pas
de façon claire et explicite. Or, dans beaucoup de pays développés (Europe et Amérique du
Nord), le bilan de l’élève est une étape obligatoire, réalisée pour la plupart en langues et en
Sciences.

Monsieur le ministre, le deuxième niveau d’intervention scolaire recommande une
responsabilisation pleine et entière des directions d’école/ établissement. Il s’agit de faire
l’option d’une « responsabilisation douce et réflexive » comme le suggèrent Nathalie Mons &
Vincent Durpiez (Recherche et Formation, 2010, page 45-59). Nous sommes loin de penser que toutes ces politiques doivent être identiques dans les faits. Le pilotage par les résultats (je
préfére « piloter » à la place de « gérer », « pilotage » au lieu de « gestion ») prend diverses
formes en fonction des contextes et niveaux d’actions : enseignant craie-en-main, directeurs ou chefs d’établissement, corps de contrôle ou pouvoir central. Si dans notre pays, « on gère par les résultats », ailleurs, « on pilote par les résultats » ! Acceptons juste que tout soit fait dans le sens d’une amélioration des performances des élèves et d’une adoption de meilleures
pratiques éducatives. Il est clair qu’une meilleure connaissance des résultats de notre action
éducative permet de jure et de facto une amélioration des pratiques. C’est pour cette raison que j’ai salué le pari sur la « Gestion Axée sur les Résultats » (GAR). Mais, cette version sénégalaise du pilotage par les résultats est jugée soft par certains techniciens de l’éducation, car elle « ne contraint pas par la bourse ». Cela veut dire qu’en cas de contreperformance durable d’une école, d’un collège ou d’un lycée, le directeur d’école ou chef d’établissement devait subir une chute de traitement salarial ou un blocage de carrière. Nous notons qu’aucune contrainte n’est assortie à la contre-production scolaire pour le chef d’établissement. Et pourtant, des mesures incitatives favorisant la performance à l’école existent, mais aucune ne fait directement « mal à la poche » du directeur ou du chef d’établissement (Principaux ou Proviseurs). Ces derniers, en tant que responsables du travail éducatif ont une responsabilité pédagogique, administrative, politique, morale et comptable à la fois. Par voie de conséquence, leur niveau de redevabilité doit les amener à répondre de leurs manquements « devant Dieu et les hommes ». Cela est d’autant plus logique que s’il était permis aux parents, à chaque fois qu’ils le souhaitent, d’inscrire leurs enfants à l’école de leur choix, certains établissements risqueraient d’être dégarnis de leurs effectifs.

Monsieur, à l’analyse, nous savons de science certaine que désormais, l’école devra se faire
autrement. Le changement est bien possible, car votre personnel éducatif en est capable. Mais,
cela exige du courage, de l’audace et une certaine capacité d’indignation face à l’anormal. Plutôt que de s’y habituer et de s’y résigner parce que la situation nous serait éventuellement favorable pour une quelconque raison, il faudra la secouer fortement. Toutefois, avec l’ensemble de la communauté éducative, de profondes réflexions devront être menées afin d’apporter les vraies réponses aux seules interrogations qui vaillent pour notre système éducatif : quels Enfants sommes-nous disposés à offrir à notre pays ? Quel pays devrons-nous laisser à notre descendance ? (pour ne pas paraphraser Pierre Rabhi, écologiste français, fondateur du mouvement Colibris).

Monsieur le ministre,

Aussi bien le Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence du
secteur de l’Education et de la Formation (PAQUET-EF), les conclusions de la Concertation
nationale sur l’Avenir de l’Enseignement supérieur (CNAES tenue du 06 au 09 avril 2013) que
les Assises de l’Éducation et de la Formation (AEF du 28 au 30 août 2014), prônent « une école
pour tous », « une école de qualité » et « une école viable, fiable et pacifiée ». Ainsi donc,
vous l’aurez bien compris, la réalisation de ce triptyque n’est compatible essentiellement
qu’avec une bonne gouvernance scolaire dans notre pays.

En définitive, Monsieur le ministre, voilà les raisons pour lesquelles, j’estime qu’il est
nécessaire d’appliquer en toute profondeur le principe de l’imputabilité, au nom de la rupture.
Qu’il vous plaise donc, de commencer à chercher, car je sais que vous pouvez y arriver.
Avec mes respectueux hommages, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma plus distinguée considération.

 

Lamine NDIAYE Aysa Fall
Inspecteur de l’Education et de la Formation
Directeur Exécutif du CABINET SEDAR INTERNATIONAL
Email : cabinetsedarinternational@gmail.com

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