Contribution – L’exportation moderne de la main-d’œuvre africaine : L’Africain est il condamné à l’exil? (par Moussa Koulibaly )
L’exil forcé et le déplacement des Africains à travers l’histoire, que ce soit par la traite négrière, la traite arabe ou les migrations modernes, constitue un des chapitres les plus douloureux et complexes de l’histoire du continent. Depuis des siècles, l’Afrique a été vidée de ses forces vives, ses ressources humaines exploitées pour enrichir d’autres contrées, souvent sous la contrainte, parfois avec le consentement de ses élites. Ces déplacements, qu’ils soient imposés ou choisis, ont profondément marqué la psyché et le développement de l’Afrique.
La traite arabe : premiers déplacements massifs
Bien avant l’arrivée des Européens sur les côtes africaines, la traite arabe, qui a commencé au VIIe siècle, a arraché des millions d’Africains noirs à leur terre natale. Ce commerce transsaharien, organisé par des marchands arabes et souvent facilité par des intermédiaires africains, a contribué à l’exil massif de populations vers le Moyen-Orient. L’impact de cette traite est souvent moins médiatisé que celle atlantique, mais elle a néanmoins laissé des cicatrices profondes. Beaucoup d’Africains emmenés dans ce système de traite ont été intégrés de force dans les sociétés arabes comme esclaves domestiques ou soldats, voire eunuques dans certains cas.
La traite transatlantique : l’esclavage au service des plantations et des mines
Avec la traite négrière atlantique, commencée au XVe siècle, l’Afrique est devenue un réservoir de main-d’œuvre pour les économies coloniales européennes. Ce commerce de masse, qui a duré plusieurs siècles, a vu l’exportation forcée de millions d’Africains vers les Amériques pour travailler dans des conditions inhumaines dans les plantations de sucre, de coton et de tabac, ainsi que dans les mines. Des collaborations internes ont permis à ce commerce de prospérer : des chefs africains, en quête de gains politiques et économiques, ont souvent échangé des captifs contre des armes, de l’alcool et d’autres biens de consommation importés. La traite négrière n’était pas simplement le fait des Européens, mais un système complexe qui impliquait des acteurs locaux.
La contribution forcée aux guerres mondiales
Au XXe siècle, l’exil forcé des Africains a pris une nouvelle forme avec les guerres mondiales. Durant la Première et la Seconde Guerre mondiale, les puissances coloniales européennes ont mobilisé des troupes africaines, appelées tirailleurs sénégalais, pour renforcer leurs armées. Ces hommes ont été enrôlés, souvent contre leur gré, pour aller se battre dans des conflits qui n’étaient pas les leurs, loin de leurs terres et de leurs familles. Ironiquement, ces mêmes hommes, après avoir combattu pour la « liberté » de l’Europe, se sont retrouvés à nouveau opprimés dans leurs propres pays, sous le joug colonial.
L’après-guerre : l’appel à la main-d’œuvre africaine
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe ravagée par les destructions avait besoin de se reconstruire. Durant la période des Trente Glorieuses (1945-1975), les pays européens, notamment la France, se sont tournés vers leurs anciennes colonies pour trouver de la main-d’œuvre. Des vagues massives de travailleurs africains ont été encouragées à émigrer vers l’Europe pour participer à cette reconstruction. Si cette migration semblait, à première vue, volontaire, elle était souvent motivée par la pauvreté et l’absence d’opportunités sur le continent africain, résultat de siècles de pillages économiques et d’exploitation.
L’exportation moderne de la main-d’œuvre africaine
Au XXIe siècle, un nouveau phénomène a émergé : l’exportation organisée de la main-d’œuvre africaine. Contrairement aux périodes précédentes où l’exil était principalement imposé par des forces extérieures, les gouvernements africains eux-mêmes encouragent désormais leurs citoyens à partir travailler à l’étranger, notamment en Europe, en Amérique du Nord, et dans les pays du Golfe. Cette migration, souvent promue comme une chance pour les jeunes Africains d’échapper à la pauvreté et de soutenir financièrement leurs familles, n’est pas sans conséquences. Ces travailleurs migrants se retrouvent souvent dans des situations précaires, exploités, et sans protection légale adéquate.
Dans certains cas, des accords bilatéraux sont signés entre des gouvernements africains et des pays étrangers, facilitant cette migration. Ces partenariats visent généralement à répondre à des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs spécifiques, mais, dans les faits, ils entretiennent une dépendance structurelle de l’Afrique envers ces économies plus développées.
L’exil éternel : une fatalité ou une question de choix ?
Alors, sommes-nous condamnés à l’exil perpétuel ? L’histoire semble indiquer que les Africains ont été déplacés de force, exploités et enrôlés dans des systèmes qui ne leur profitaient pas. Si l’exil d’aujourd’hui semble être plus volontaire, il est souvent motivé par des conditions économiques, politiques et sociales désastreuses qui poussent les Africains à chercher de meilleures opportunités ailleurs.
Ce phénomène est aggravé par des politiques publiques inefficaces, la corruption, et une absence de vision à long terme pour le développement du continent. À cela s’ajoutent les effets de la mondialisation, où les pays riches continuent à attirer la main-d’œuvre étrangère tout en maintenant des barrières économiques qui empêchent le développement industriel et agricole de l’Afrique.
Rompre le cycle L’exil, qu’il soit forcé ou volontaire, ne doit pas être une fatalité pour les Africains. La solution réside dans la transformation structurelle des économies africaines, l’investissement dans l’éducation, la santé, l’industrialisation et l’agriculture durable. Il est essentiel que les dirigeants africains cessent de voir l’émigration comme une solution aux problèmes économiques et sociaux du continent. Au contraire, le véritable défi du XXIe siècle pour l’Afrique est de créer des conditions favorables pour que ses citoyens puissent choisir de rester, de prospérer, et de contribuer au développement de leurs pays.
La question de l’exil est donc autant liée à l’histoire qu’à des choix politiques et économiques contemporains. Rompre ce cycle nécessite une refonte profonde des priorités africaines, en plaçant l’humain au centre des préoccupations.
Moussa Koulibaly professeur HG au LABSy