Sénégal : comment les réseaux sociaux ont amplifié la contestation
Entre le 3 et le 8 mars, le Sénégal a connu une vague de violences inouïe découlant de l’arrestation de la principale figure de proue de l’opposition, le député Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019. Accusé de « viols et menaces de mort » par une jeune femme de 20 ans, l’opposant dénonce une conspiration orchestrée par le chef de l’État Macky Sall et ses proches collaborateurs de la hiérarchie judiciaire visant à l’évincer du jeu politique, ce que le président réfute. L’arrestation d’Ousmane Sonko a déclenché de violents heurts dans tout le pays, occasionnant le saccage de biens publics, des scènes de pillage, de multiples arrestations, des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants, et la mort d’« au moins 11 jeunes Sénégalais et plus de 590 blessés » selon Amnesty International.
En signe d’apaisement, les autorités ont accepté de libérer le parlementaire en le plaçant sous contrôle judiciaire le 8 mars après sa comparution devant un juge. Il n’en demeure pas moins que la crispation est toujours palpable et la frustration encore prégnante au sein de la population sénégalaise. Au départ centrée sur la dénonciation de cette arrestation, la contestation s’est étendue à d’autres revendications ? dans l’espace public et sur les réseaux socionumériques ? portant sur la condamnation des entorses à la démocratie et aux libertés, l’injustice sociale, l’instrumentalisation de la justice, etc.
L’instrumentalisation politique de la justice
De nombreux experts et commentateurs l’ont amplement souligné : au Sénégal, du fait d’une collusion historique entre le politique et le judiciaire, les mesures judiciaires prises à l’encontre d’adversaires du pouvoir font souvent l’objet de soupçons. Des soupçons d’autant plus partagés par de nombreux Sénégalais que l’« affaire Sonko » contient bien des incohérences.
D’autres affaires judiciaires récentes aux relents politiques ont cristallisé les tensions avant celle-ci, notamment l’emprisonnement en 2017 de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall pour détournement de fonds (il passera deux ans derrière les barreaux avant d’être gracié), celui de Karim Wade pour enrichissement illicite (condamné en 2015, il sera gracié l’année suivante), tous deux opposants au président actuel, celui de l’imam Alioune Badara Ndao en 2015 pour apologie du terrorisme, mais également de divers activistes de la société civile.
Pour la petite ou la grande histoire, Khalifa Sall et Karim Wade ont été libérés, mais privés de leurs droits politiques, et l’imam Ndao a été totalement blanchi après un embastillement de plus de deux années. Il faut rappeler que, déjà en 2017, le juge sénégalais Ibrahima Hamidou Dème, dans sa lettre de démission de la magistrature, pointait du doigt une certaine politisation de la justice en ces termes : une « justice fragilisée, malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur ». Un rapport publié en 2018 par Amnesty International, intitulé Senegal : All Talk No Action, avait également tiré la sonnette d’alarme.