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Contribution – Report de la Présidentielle au SENEGAL : La guerre des trois n’aura pas lieu (par Lamine Aysa Fall NDIAYE)

La veille du « premier tour » de l’élection présidentielle du 25 février 2024 allait marquer la fin d’un mandat qui n’aura ressemblé à aucun autre. Le Sénégal depuis le 03 juillet date à laquelle le Président de la République Macky SALL avait annoncé son retrait de la course des candidats pour la magistrature suprême, les rebondissements n’ont pas manqué. Et la classe politique est disséminée en une sorte de triangle scalène dont la majorité présidentielle, l’opposition radicale dirigée par les partis ou coalitions proches de la sensibilité du parti PASTEF dissout et les réformateurs menés par le brillant et expérimenté ancien premier ministre Mahammed Boun Abdallah DIONNE occupent les différents sommets.

Or, depuis cette dernière adresse à la nation du Président de la République, ces trois pôles se disputent sans concession le champ politique.

Le discours du Président Macky Sall a été fortement marqué par l’annonce de la signature du décret n° 2024-106 du 03 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du collège électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 et au renvoi à l’Assemblée nationale pour délibérer sur la proposition de loi constitutionnelle n° 04/2024 portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de notre Constitution, qui stipule que « le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu quarante-cinq (45) jours francs au plus et trente jours (30) francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du Président de la République en fonction ».

Le président Macky SALL venait de donner un coup de massue au processus électoral afin de ne pas gêner le travail de l’Assemblée nationale qui avait mis en place une commission parlementaire d’enquête sur certains « sages » du Conseil Constitutionnel.

Evidemment, le feuilleton qui se déroule sous nos yeux comporte plusieurs actes en trois lieux différents : la Présidence de la République, l’Assemblée nationale et le Conseil Constitutionnel.

Le décor ainsi campé, mettra en scène les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Et cela suffit même, pour que les moins informés d’entre nous y voient une espèce de crise institutionnelle. L’opposition crie au hold-up et les observateurs s’inquiètent de cette crise politique inédite dans un pays longtemps perçu comme une vitrine de la démocratie en Afrique.

 

Acte 1 : Mise en place d’une commission d’enquête parlementaire

Suite à l’annonce des résultats définitifs issus du parrainage citoyen, le candidat du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) a été éliminé. Non satisfait de l’issue de cette première phase de sélection, principalement Karim Wade, candidat exclu de la course à la présidentielle en raison de sa double nationalité franco-sénégalaise a usé de son droit d’attaquer les conclusions du Conseil constitutionnel et a actionné les parlementaires du PDS, de TAXAWU et de Wallu (au nombre de 120) pour finalement adopter la résolution de la Commission d’enquête parlementaire. Au cours de ces débats à l’hémicycle, beaucoup de parlementaires ont appelé tacitement à un report du scrutin. L’honorable député Cheikh Tidiane GADIO a d’ailleurs même relevé que les conditions n’étaient pas réunies pour l’organisation et la tenue de l’élection présidentielle à date échue.

Acte 2 : Proposition et adoption de loi constitutionnelle n° 04/2024

Ce deuxième acte est consacré à l’adoption de la proposition de loi sur le report de la présidentielle.

Ainsi donc, nos députés après quelques tours d’horloge, ont « adopté et approuvé » la nouvelle disposition.

Les tensions ayant abouti à une radicalisation des mouvements d’opinion jusque dans l’hémicycle ont transformé les trois sommets du triangle politique (le pouvoir, les radicaux et les réformateurs) en une bipolarisation du champ politique, les « reportistes » et les « anti-reportistes » comme on l’observe souvent, ailleurs dans le monde. Ce face-à-face entre deux pôles, pro-report/ anti-report, pro-système/ anti-système émaillera désormais l’avenir du débat politique sénégalais. Ainsi, le choix qui s’offre aux électeurs est lourd de conséquences tant « l’idéologie » des différents camps paraît opposée. Le scrutin présidentiel qui se place à l’horizon en fournit un exemple éloquent, dés lors que le dessein fixé par les leaders de coalition annonçait déjà une guerre des tranchées idéologique.

Toutefois, l’adoption suivie de l’approbation de la disposition constitutionnelle aboutira au report de l’élection présidentielle à la date du 15 décembre 2024 (c’est-à-dire 308 jours ou un peu plus de 10 mois de prolongation du mandat présidentiel). Ce report sine die de la présidentielle du 25 février est un véritable coup d’État politico-institutionnel, « un enfant fait dans le dos » de notre démocratie, un séisme politique qui vient de ruiner tous les espoirs d’une jeunesse désœuvrée en mal d’emploi.

Acte 3 : Tenue d’un dialogue national inclusif

En conclusion de son allocution télévisée, ce samedi 3 février, le président de la République, Macky Sall, a décidé d’inviter la classe politique à « un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive dans un Sénégal apaisé et réconcilié ». Le chef de l’État Macky SALL dont le mandat arrive à expiration le 02 avril prochain n’aura pas manqué l’occasion de rappeler son engagement à ne pas être candidat. Cette invitation doublée d’un engagement est l’unique bémol salvateur et rassurant du speech présidentiel. Ainsi, ce sera le troisième dialogue convoqué par Macky SALL durant cette deuxième mandature : 28 mai 2019, 31 mai 2023 et celui à venir. A coup sûr, ce dernier dialogue national sous l’ère Macky verra la participation des « représentants des acteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, des chefs religieux et coutumiers, des jeunes et des femmes, afin d’échanger et de bâtir des consensus durables sur des questions majeures relatives à la vie nationale, et à l’avenir du pays ». Espérons juste que cela ne soit pas un simple dialogue de plus, si non les mois qui viennent vont mettre à rude épreuve la démocratie sénégalaise déjà suffisamment malmenée.

Acte 4 : Formation d’un gouvernement de large représentativité

Qu’on l’appelle « gouvernement d’unité nationale », « gouvernement de majorité présidentielle élargie », ou « gouvernement d’union nationale » cela importera très peu. L’essentiel est qu’il soit un gouvernement dans lequel toutes les forces politiques ou presque sont représentées. Un gouvernement d’unité nationale doit être formé pour faire face à des enjeux spécifiques. Or, les enjeux sont multiples et variés auxquels notre pays est confronté : réconciliation des citoyens avec l’Etat et avec la République, enjeux sécuritaires, enjeux économiques liés à l’existence de gisements pétroliers et gaziers, etc. Face à tous ces défis, une union sacrée de tous les fils du pays, comme proposé par la Coalition DIONNE 2024, devient nécessaire et indispensable à notre survie démocratique. Car, il s’agira d’engager avec toutes et tous, une politique de haut niveau avec de très gros chèques, de gros  investissement avec de grandes réformes.

 Nous estimons que si les précédents dialogues étaient suffisamment inclusifs, beaucoup de divergences politiques et de malentendus auraient pu être évités.

« Débattre c’est assurément le contraire de se battre » disait Bertand Perier dans La parole est un sport de combat. L’animosité et les « mortal Kombat » n’auraient eu droit de cité si les acteurs politiques avaient opté pour des discussions régulières.

Acte 5 : Sortie non négociable du sortant le 02 avril 2024

En tous les cas, nous pouvons retenir au moins, hic et nunc, que le report de l’élection présidentielle à la date du 15 décembre 2024 ne devra pas signifier obligatoirement la présence de Macky SALL au Palais au delà du 02 avril. Car ce ne sera que par ce biais que le report pourra signifier ou non une prorogation de mandat. Nous comprenons la clameur populaire comme une sorte de mise en garde confirmant une tendance à « sortir le sortant » par tous les moyens. Le peuple sénégalais a déjà mentalement accepté le report de la présidentielle, mais nous doutons fort qu’il soit en mesure d’accepter et le report et la présence du Président Macky SALL aux affaires au-delà du 02 avril.

In fine, le renouvellement inévitable prôné par le réformateur Mahammed Boun Abdallah DIONNE ne saurait manquer. Le Sénégal a besoin de réformes véritables en profondeur sur plusieurs secteurs, et non d’une révolution. Notre pays n’a pas les moyens de faire face à une révolution politique. Dès lors, nous estimons qu’entre « le oui absolu» de la continuité et le « non catégorique » de la rupture radicale, il doit assurément y avoir une place pour « le peut-être », symbole de transition politique. Ce passage en « mode transition » est absolument nécessaire pour la survie de notre démocratie.

 

Lamine Aysa Fall NDIAYE

Expert et consultant en Education et Formation

Président du mouvement ARCHE Yoon Wi

Membre de la Coalition « DIONNE 2024 »

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